Il existe des lieux comme ça, où si l’on reste assis assez longtemps, on peut voir défiler le monde entier.
Les Champs Elysées font partie de ces endroits magiques.
J’ai voulu en faire l’expérience récemment…et je ne sais pas si le fait de faire la connaissance éphémère de tous ces gens fut une bonne idée.
Tout d’abord, avant de pouvoir observer les allers et venus des uns et des autres, il faut trouver un banc. Lorsqu’il fait beau, les gens ont tous la même idée et dénicher une place assise relève du miracle. Si par chance, un siège se libère, le mieux est de se précipiter dessus et de ne plus se lever sous aucun prétexte, même si….
Je suis donc là, à côté d’un couple de trentenaires, à savourer les premières chaleurs du printemps, tout en regardant et en écoutant ce qui se passe aux alentours. Puis, alors que tout est idyllique, un homme, du genre vieil harki, vient s’asseoir à son tour près de nos deux tourtereaux. Il ouvre son journal et se met à prononcer des phrases à vitesse impressionnante (la réincarnation de Scatman ?!). Au début, ce qui n’est qu’un charabia devient soudainement plus clair, malheureusement…
Un discours incohérent sur les musulmans qui n’existeraient plus et qui seraient remplacés par des juifs, puis une allocution sur le fait de ne pas se laver les mains en sortant des toilettes. Il répéte ça en boucle. Le jeune couple, lassé de l’entendre, part, me laissant seule avec ce spécimen de foire qui hurle sa conférence !
Les places sur les bancs étant chères, deux adolescents, sans se douter de ce qui allaient leur arriver, prennent d’assaut la distance libre qui me sépare de « Scatman ». Alors qu’il s’était enfin calmer, le fait de voir de nouvelles têtes le fait repartir de plus belle dans son délire verbal.
Ce qui est visiblement adressé à toute la population devient tout à coup un dialogue tendu entre l’un des deux jeunes et ce vieil homme dérangé. Le ton monte car le garçon se sent agressé par les propos incohérents tenus. Son copain filme la scène en rigolant et deux policiers passent, regardent, sourient et s’en vont l’air de rien. Je me sens obligée d’intervenir en lui précisant que ce n’est pas contre lui, mais que Scatman baragouine depuis un quart d’heure.
Finalement, le toqué se lève et menaçant de son journal, il ajoute que si l’Allemagne déclare la guerre à la France, il tuera les français, car il estime être nazi. L’esprit de Galliano hante-t-il notre vieil homme ?!
La vie reprend enfin son cours normal. Les touristes marchent l’air heureux d’être sur la plus belle avenue de monde, les jeunes filles ont un air aérien avec leur longs cheveux flottant au vent, les beaux gosses ont ressorti leurs T-shirts moulants, il ne manquerait plus qu’une célébrité passe pour que la boucle soit bouclée.
Au lieu de ça, un pervers au survêtement trop grand et aux cheveux gras se dirigent droit vers moi, le filet de bave le long de la bouche. Panique générale, au secours, à l’aide. Réflexe de survie, je place un magazine devant ma tête et je me mets à parler aux deux petits jeunes qui sont toujours à mes côtés. Le sadique, voyant que je ne suis pas seule, me fait un signe de la main et bifurque vers une autre proie.
Je suis déçue. Impossible de profiter pleinement du fourmillement sans tomber sur des cas sociaux.
Lorsque je disais qu’en restant assis assez longtemps, on pouvait voir défiler le monde entier, j’avais occulté que les dérangés, aussi fous soient-ils, font partie de notre quotidien. Certains sont pris en charge, d’autres sont dans la nature. A nous de nous en accommoder.
Il faut de tout pour faire un monde !